lundi 8 avril 2013

Le Mal de Montano, Enrique Vila-Matas


Je ne sais pas si j'ai réussi à comprendre ce livre mais il m'a donné des ailes! Les idées fusent à sa suite. Il me  donne une furieuse envie d'écrire une fiction, de relire les classiques ou de poursuivre un  journal intime arrêté depuis longtemps! 

Serait-ce à ces particularités qu'on reconnaît un grand livre? Sans doute pas mais toujours est-il que les citations y abondent, extraites des plus grands œuvres de toutes les époques et de tous les pays. 

Voilà  d'ailleurs le fond du problème: le narrateur, venu rejoindre Montano,   son fils, libraire à Nantes, découvre qu'ils souffrent tous les deux du même mal de la littérature mais en sens contraire. Son fils, qui vient de publier un roman sur le cas énigmatique des écrivains qui renoncent à écrire, est à son tour   paralysé par la page blanche. C'est le  fameux Mal de Montano d'où le titre de l' ouvrage. 

A l'inverse le père ne pense qu'à la littérature, ne vit qu'à travers elle et  les écrivains qu'il connaît presque par cœur, se sent dépossédé de sa propre pensée par toutes les phrases et les références littéraires qu'il a engrangées durant toute sa vie et qui le parasitent. Le fils souffre du vide,  le père du trop plein!  

Mais en réalité le mal est plus profond puisqu'il s'agit surtout du mal de la littérature elle-même qui se meurt de la mainmise commerciale et d'une production exagérée de romans qui la laisse exsangue. Le remède serait le journal personnel comme le fait l'auteur en ce moment même mais on apprend alors que ce journal est une fiction puisqu'il n'a pas de fils. 
Il y a dans Le mal de Montano une bonne part d’autobiographie mais aussi beaucoup d’invention. 

Du journal fictif il passe alors au dictionnaire de ses diaristes préférés et la liste est longue. Je retiens ceux que j’aime le mieux. 
Gide:  Le journal de cet écrivain raconte l’histoire de quelqu’un qui a passé sa vie à essayer d’écrire un chef d’œuvre et n’a pas réussi. 
Witold Gonbrowicz:  Il a évité de faire de son journal une confession. Sa volonté a été celle de se créer au fur et à mesure. Dire au lecteur: « C’est ainsi que je voudrais être pour toi » et non «C’est ainsi que je suis.»
 Le grand thème du journal intime du XXe siècle est la maladie. 
Franz Kafka:   Je ne crois pas qu’il y ait plus grand malade de littérature que kafka. Son journal est terrifiant. Il craignait que la littérature ne l’aspire, comme un tourbillon,  jusqu’à ce qu’il se perde dan ses contrées sans limites
Katherine Mansfield: conteuse tchékhovienne et diariste angoissée. Tuberculeuse, la maladie  fut le pivot de sa vie tourmentée et elle parlait de façon obsessionnelle de son mal dans son journal, ce qui donne un rythme, une cadence, une régularité à son écriture. 
William Somerset Maugham:  Je partage avec Maugham la croyance que dans l’héroïque courage avec lequel l’homme affronte l’irrationalité du monde, il y a plus de beauté que dans la beauté de l’art.
Henri Michaux, Cesare Pavese, Fernando Pessoa, Sergio Pitol, Jules Renard, Paul Valéry et son Monsieur Teste. 
Après quoi il écrit à son tour  Le journal d’un homme trompé C’est précisément parce que la littérature nous permet de comprendre la vie qu’elle nous maintient en dehors d’elle. 
Le Mal de Montano se termine  dans un chalet de montagne suisse par la lecture du Journal de voyage de Montaigne en Italie par la Suisse et l’Allemagne. Il y retrouve le salut de l’esprit.
Un salut de l’esprit lié au salut de la littérature que je juge indispensable pour pouvoir attendre le jour où on trouvera la façon infaillible de disparaître de ce monde et de le faire définitivement.  
 Je sais bien ce que je fuis mais non pas ce que je cherche. Montaigne.  
Un livre difficile mais exaltant. Réservé probablement aux fous de littérature pure et dure. 

Le Mal de Montano, Enrique Vila-Matas 
Traduit de l'espagnol par André Gabastou (Christian Bourgois, 2002, 402 pages) 
Prix Médicis étranger 2003.
Prix de la Critique espagnole (2003)
Prix Herralde de Novela (2002),  
Premio del Círculo de Críticos de Chile (2003), 
Premio Internazionale Ennio Flaiano (2006)


17 commentaires:

  1. In connu au bataillon, mais là, je vacille : un incontournable?

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    1. Pour certains peut-être! J'ai du mal à l'affirmer cependant, bien que l'ayant aimé. Il se joue brillamment des registres romanesques à sa disposition et suscite la réflexion mais est-ce un roman ou un essai? Je pense pour le second aspect!

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  2. je n'accroche pas toujours aux livres de Vila-Matas certains m'ont enchanté d'autres m'ont semblé très hermétiques mais là le sujet est fait pour m'intriguer
    je vais voir si il est dispo à la bibliothèque

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    1. Pas facile en effet mais très intéressant, du moins pour les questions concernant les écrivains et les méthodes en littérature.

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  3. Je veux absolument le lire...(en espérant qu'il me soit accessible...;-)

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    1. Il n'est pas toujours simple à suivre et demande parfois des retours en arrière pour suivre son raisonnement mais à part, il y a des moments passionnants.

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  4. Un livre qui attise ma curiosité..en plus,j ene connais pas cet auteur ! je note Mango !

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    1. Je ne le connaissais pas non plus et le découvre avec plaisir et admiration.

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  5. Un livre qui donne des ailes ? Youpi !

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    1. Ils sont rares mais ce sont les meilleurs sinon les plus faciles!

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  6. Je vais voir ceci de plus près ;) merci !!!!

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    1. Suscite beaucoup d'intérêt quant aux problèmes posés aux romanciers.

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  7. Je ne connaissais pas du tout mais je pourrais bien me laisser tenter.

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    1. Oui, tu devrais l'aimer! A l'opposé des romans faciles et préformatés qui abondent sur le marché!

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  8. C'est vrai, Enrique Vila-Matas vaut au moins qu'on le lise une fois! Il y a déjà 2 ans, il avait été auteur du mois pour cette raison
    http://www.lecture-ecriture.com/5851-Le-mal-de-Montano-Enrique-Vila-Matas
    et personne n'avait regretté d'avoir fait sa connaissance, au contraire!

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    1. C'est un romancier à découvrir mais peut-être encore un peu méconnu en France, il me semble, et c'est très dommage!

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  9. Un auteur qui me fait un peu peur et je dois dire que la dernière ligne de ton billet n'est pas pour me rassurer (même si le sujet est évidemment plus que tentant !) ^^

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