vendredi 31 août 2012

Trois excentriques anglais de Lucien d'Azay

L’auteur enseigne le Français, à Venise et semble se spécialiser dans les biographies. Il a déjà publié Ovide ou l'Amour puni (2001),  Tibulle à Corfou (2003), Le faussaire et son double (Thomas Chatterton, le poète anglais) (2009) toujours aux Belles lettres. 


Cette fois,  c’est à trois auteurs anglais qu’il s’intéresse, tous trois qualifiés d’excentriques,  formant  une sorte de triptyque biographique,  conçu à la manière d’un retable. 

Chacun de ces portraits illustre un aspect esthétique et moral de l’Angleterre, avant,  pendant, après la période victorienne, soit  trois formes de déviance qui révèlent en négatif la société de leur époque.



Thomas Lovell Beddoes, gothique par excellence (1803-1849),  le poète le plus macabre du romantisme anglais qui tente de ressusciter le théâtre élisabéthain dans son chef d’œuvre posthume: Death's Jest-Book  et pousse la logique du nonsense à son paroxysme en faisant de la mort sa raison de vivre.
"Amoureux de la mort, disciple macabre de Shelley et du romantisme allemand, il annonce les "Décadents". Des poèmes paraîtront en 1850-1851, après son suicide au curare. 


 John Gray (1866-1934), ou le Dorian Gray de Wilde. Ami  de Ernest Dowson, Aubrey Beardsley et Oscar Wilde, il fut un traducteur de talent des symbolistes français, des poètes Verlaine, Mallarmé, Laforgue, Rimbaud.  Dandy décadent,  il se  convertit au catholicisme lors d'une crise mystique et  se fit prêtre. Ses œuvres sont des poèmes: Silverpoints , Le Long Road et Park, une histoire fantastique.

Aleister Crowley (1875-1947), érotomane,  enclin à toutes sortes d’expériences extrêmes, fondateur d’une secte: Thelema qui se proposait d’aider ses membres à trouver leur véritable volonté en recourant à la magie sexuelle. A eu une grande influence sur la contre-culture britannique. J'avoue ne pas avoir très envie d'en savoir beaucoup plus sur la vie et les livres de cet auteur, trop sulfureux à mon goût.  

J'ai cependant  apprécié de  découvrir un peu mieux ces trois personnages que je connaissais très mal jusqu'ici mais je n'ai aucune envie de les lire cependant. Ma curiosité s'arrêtera là. 
Trois excentriques anglais de Lucien d'Azay (Les belles Lettres, 333 pages)

jeudi 30 août 2012

Luigi Pirandello, La vérité, Nouvelles pour une année,

                                                                 
En 1911, quand a lieu cette histoire, Saru Argentu, dit Tararà, est un pauvre paysan sicilien qui passe ses journées à travailler pour les autres dans leurs champs. 

Le voici dans la cage de la salle des assises de Sicile où sont enfermés les prévenus. Il a tué sa jeune  femme d'un coup de hache sur la tête, en présence de tout le village. 
C'est dans une odeur pestilentielle d'étable et de sueur que se déroulent les débats.  
La salle  où se serrent les habitants du village est hilare la plupart du temps, en réaction aux réponses de l'accusé qui raconte posément sa vérité malgré son avocat commis d'office qui cherche à l'empêcher de parler car plus il s'explique, plus il s'enfonce. 
Tout le monde savait, et Tararà aussi, que sa femme le trompait avec le seigneur du coin qui lui rendait de fréquentes visites dans sa misérable masure mais l'honneur était sauf puisque  "Messieurs les jurés, la chose restait tacite  et personne donc ne pouvait me soutenir en face que je le savais." Toute la faute pour lui vient de la femme du chevalier Fiorica, venue faire un scandale  devant chez lui, au vu et au su de tous! 
"- C'est la vérité, Monsieur  le Président!
-  Ah, le crétin, cria un vieux paysan au fond de la salle!"

En vertu de cette vérité, si naïvement confessée, quel fut le sort de Tararà, à votre avis? 
Un recueil de récits très savoureux,  petits faits vrais de la vie ordinaire, à l'aube du XXe siècle,  dans une île de toute beauté, encore rurale et  protégée. Pirandello est vraiment l'auteur italien à lire! 
Nouvelles pour une année, La vérité,  de Luigi Pirandello (Gallimard, Folio, bilingue, traduit par Georges Piroué,  1990)  

Poète, romancier et dramaturge,  Pirandello est né en Sicile, près d'Agrigente,  le 28 juin 1867, durant une épidémie de choléra. Il est mort à Rome le 10 décembre 1936. Son œuvre a été récompensée du Prix Nobel de littérature en 1934.
C'est ma première participation au challenge de Géraldine, des livres et des îles. La Sicile.
Maison natale de Pirandello, à Caos, près d'Agrigente, en Sicile. (photo prise sur le Net)

Des souris et des hommes de Pierre-Alain Bertola, ma BD du mercredi


Les éditions Delcourt ont annoncé le décès soudain de Pierre-Alain Bertola qui a succombé à une crise cardiaque il y a douze jours, le vendredi 17 août 2012, le jour de son anniversaire.
Né le 17 août 1956, en Suisse, dans le canton de Vaud, il avait 56 ans.
Fin 2009, il avait réalisé un des rêves de sa vie: adapter en bande dessinée le roman de John Steinbeck, Des souris et des hommes.
Il travaillait aussi pour le théâtre et l'opéra, signant notamment les décors du Viaggio a Reims de Rossini en 2005, et La Flûte enchantée de Mozart en janvier 2008.

C’est en rédigeant ce billet que j’ai appris la nouvelle alors même que je découvrais cet auteur et sa superbe BD qui m’a enchantée comme d’ailleurs tous ceux qui l’ont lue jusqu’ici. Je n’ai trouvé que des billets admiratifs, qu’on ait lu ou pas le chef d’œuvre de Steinbeck.
Non seulement l’histoire est respectée mais elle est magnifiée par les dessins à l’aquarelle, en noir et blanc, qui apportent infiniment de poésie à l’atmosphère misérable des fermes où s’emploient Georges et Lennie, les deux vagabonds qui ne rêvent que d’avoir leur terre à eux où élever les lapins qu’affectionne Lennie, le colosse à l’âme d’enfant.
Comme Steinbeck, Bertola n’en fait pas trop dans la tragédie, juste l’essentiel. Grâce aux dialogues, brefs, simples et rudes, tout est dit ou plutôt suggéré. Le lecteur comprend à demi-mots ce qui se passe sans que rien ne soit souligné de particulièrement révoltant ou atroce. C’est comme ça, c’est tout. La vie est dure et sans complaisance pour les pauvres gens de ces régions des États-Unis de la Grande Dépression.
L’amitié qui lie les deux hommes si différents adoucit peut-être le drame mais ne peut en rien empêcher la fatalité qui veut que Lennie ne contrôle ni sa force ni son penchant pour caresser les choses soyeuses comme la fourrure des lapins, le velours si doux et les cheveux si soyeux de la femme de Curley, le fils du patron.
«Les types comme nous, ils n’ont pas de famille. Ils s’font un peu d’argent, et puis ils le dépensent tout. Y a personne dans le monde pour s’faire de la bile à leur sujet…
Ya des choses qu’on est obligé de faire des fois.»
C’est un album de toute beauté que j’ai énormément aimé.
L’ont également beaucoup apprécié : Choco, Noukette et La-ronde-des-post-it
Des souris et des hommes de Pierre-Alain Bertola, ma BD du mercredi
D'après le roman de John Steinbeck. (Delcourt, 2009, 120 pages, Traduction de Maurice-Edgar Coindreau)

Alex, Amandine, Arsenul, Asphodèle, Benjamin, Carole, choco, Chrys, Delphine, Didi, Dolly, Emmyne, Estellecalim, Hilde, Hélène, Hérisson08, Iluze, l' Irrégulière, Jérôme, Kikine,
La-ronde-des-post-it, Lirepourleplaisir, Lou, Lounima, Lystig, Mango, Manu, Margotte, Marguerite, Marie, Marion, Mathilde, Mélo, Miss Alfie, Moka, Mo', Natiora, Noukette, OliV', Pascale, Paulinelit, Sandrounette, Sara, Sofynet, Soukee, Syl, Theoma, Un amour de bd, Valérie, Sophie/Vicim, Syl, Vero, Wens, Yaneck, Yoshi73, Yvan, Mr Zombi, 32 octobre,
Note pour le Top BD de Yaneck: 17/20

mercredi 29 août 2012

Peste et Choléra de Patrick Deville reçoit le prix Fnac 2012

Nous sommes à nouveau dans la saison des prix littéraires et celui du Roman Fnac vient d'être attribué par une centaine d'adhérents et de libraires au livre de
Patrick Deville: Peste et Choléra (Seuil)
Roman biographique consacré à Alexandre Yursin, le Suisse qui après avoir travaillé aux côtés de Pasteur, a découvert le bacille de la peste, à Hong Kong, en 1894. Installé par la suite en Indochine,il y développe la culture de l'hévéa et du quinquina et y meurt en 1943, pendant l'occupation japonaise.

Voici les prix Fnac des années précédentes:

2011 Delphine de Vigan Rien ne s'oppose à la nuit (JC Lattès)
2010 Sofi Oksanen Purge (Stock)
2009 Yannick Haenel Jan Karski (Gallimard)
2008 Jean-Marie Blas de Roblès Là ou les tigres sont chez eux (Zulma)
2007 Nathacha Appanah Le dernier frère (Editions de L'Olivier)
2006 Laurent Mauvignier Dans la foule (Editions de Minuit)
2005 Pierre Péju Le rire de l'ogre (Gallimard)
2004 Jean-Paul Dubois Une vie française (Editions de L'Olivier)
2003 Pierre Charras Dix-neuf secondes (Mercure de France)
2002 Dominique Mainard Leur histoire (Joëlle Losfeld)

Je n'ai lu que les titres en bleu.

mardi 28 août 2012

Le 28 août 1828 naissait Tolstoï, il y a 184 ans.

Ce jour est  aussi le jour anniversaire de la naissance du comte Lev Nikolaïevitch Tolstoï, né le 28 août 1828,  à Iasnaïa Poliana,  qui restera sa propriété toute sa vie et qui est devenue un des hauts-lieux touristiques de Russie. Cela se passait il y a 184 ans.  Très tôt orphelin, c’est par sa tante qu’il fut élevé dans cette grande propriété de famille.

Il se marie en 1862 et écrit Guerre et Paix, son premier grand roman, en  1869.

Je commence  aujourd’hui le livre III, première partie, chapitre 1.
Le fatalisme est inévitable en histoire lorsqu’il s’agit d’expliquer les phénomènes irrationnels (c’est-à-dire ceux dont nous ne comprenons pas le sens). Plus nous nous efforçons d’expliquer rationnellement ces phénomènes historiques, plus ils nous apparaissent dénués de sens et incompréhensibles.
Tout homme vit pour soi, profite de sa liberté pour atteindre ses buts personnels et sent de tout son être qu’il peut à chaque instant accomplir ou ne pas accomplir tel acte;  mais une fois qu’il l’aura accompli,  cet acte accompli à un moment précis du temps deviendra irrévocable et appartiendra à l’histoire qui, de libre qu’il était, le rend nécessaire.
La vie de tout homme présente deux faces; celle de sa vie personnelle, d’autant plus libre que ses intérêts sont abstraits, et celle de sa vie élémentaire, la vie de la ruche où l’homme obéit inéluctablement aux lois qui lui sont prescrites.
L’homme consciemment vit pour soi, mais il sert inconsciemment d’instrument à des fins historiques et sociales. L’acte accompli est irrévocable et en coïncidant avec les millions d’actes des autres hommes, il acquiert un sens historique.
Le roi est l’esclave de l’histoire.
L’histoire, c’est-à-dire la vie inconsciente, grégaire, la vie de la ruche humaine, utilise à ses propres fins chaque instant de la vie des rois.
(Guerre et Paix, Folio classique, Tome 2, pp 10 et 11)

Un seul corps par Stéphanie Le Bail, premier roman

Un seul corps est celui que forment une jeune fille Ernie et son cheval Mazeppa qu’elle monte à cru depuis son enfance et qui est son seul ami. 
Ernie vit seule avec sa mère dans une grande maison ancienne, en lisière de bois, au milieu d’un vaste jardin désormais borné de grillage.
On a civilisé les arbres.
Je suis un de ceux-là. Je suis le grand cèdre bleu planté en face de la vaste demeure.
Voilà un passage qui m’a beaucoup surprise. En effet c’est cet arbre séculaire qui se révèle être le narrateur de la tragédie qui se déroule dans cet endroit. 

Un jour, Ernie et le cheval disparaissent.  La mère, désespérée, appelle la police ainsi que le médecin de famille. Ernie est malade et sans les médicaments qu’elle n’a pas emportés avec elle, sa vie ne tient qu’à un fil. Il faut la retrouver au plus vite. On la recherche longtemps en vain lorsqu’on pense à questionner le palefrenier. Celui-ci les met sur une voie possible.
Je ne peux raconter la fin.

Ai-je aimé ce récit étrange?  Oui, plutôt!  Ce n’est pas vraiment une réussite mais j’y ai senti quelque chose de prometteur. Les passages avec le cheval et la jeune fille sont beaux et émouvants même pour qui, comme moi, n’a jamais fait d’équitation. 
  
Cependant, c’est un premier roman et ça se voit: les maladresses sont nombreuses. Le choix du narrateur est peut-être original mais peu justifié. L’enquête et les recherches policières manquent terriblement de conviction. Les réactions de la mère m’ont semblé difficiles à cerner.  L’avenir entrevu pour elle et le médecin semble peu crédible car très mal préparé.

Restent le lyrisme de la nature, l’amour  pour les chevaux, la liberté débridée de la vie sauvage, une grande aspiration  vers ce qui pourrait être un retour vers une forme  moderne du chamanisme. Les arbres et les animaux, les silencieux, les taciturnes, les solitaires sont les êtres les  plus purs, les plus sûrs, les meilleurs, l’espoir de l’avenir. Ce livre évoque le retour à la terre,  le rêve de l’homme-animal, la possibilité de l’unité des corps.
Les chevaux sont des êtres de silence. Ils ronronnent parfois, pour saluer ou demander quelque chose. Les oreilles se tendent, l'encolure se grandit,  une goulée d'air chaud fait vibrer les naseaux, d'abord de manière imperceptible, puis plus fort, jusqu'à produire un son grave. Chaque cheval a sa note.  Parce qu'elle est rare, cette marque d'affection est prisée et recherchée par les cavaliers, qui se ressourcent à la suavité du ronron des chevaux.
 A lire par curiosité ou par amour des chevaux. 
Un seul corps par Stéphanie Le Bail, (Éditions du Rocher,  2012, 131 pages)
Nouvelle participation au challenge d'Anne: Premier roman.
Un rendez-vous raté pour Stéphie,
Raphaël Igni,  en revanche, du magazine hippique: Femme-Cheval-Passion, déclare:
 J’ai dévoré ce livre et maintenant il me dévore

Mes nouveaux challenges de la rentrée 2012

A la liste des anciens challenges auxquels je participe déjà, publiée ICI, s'ajoutent  maintenant  six  autres, tout nouveaux.  Les voici:

 * Le challenge de Syl, pour commencer, que je viens seulement de découvrir: Les livres gourmands. Inscrite en catégorie Aide-cuisinier (3 livres + 3 recettes) (fin en décembre 2012)



Québec en septembre, le challenge de Karine:): Lire un livre sur le Québec ou un auteur québécois durant le mois de septembre. Peut-être Dany Laferrière?  (né en Haïti et vivant à Montréal) 


* Challenge de Géraldine: Challenge des livres... et des îles, , catégorie, Cocktail  Dezil (2 livres)


 * Challenge de Lystig: Vivent nos régions,



* Challenge de Brize: Pavé de l'été,
Au moins 600 pages en format Poche. date de clôture: le 15 octobre 2012


* Challenge de Métaphore: Ô vieillesse ennemie,
Catégorie carte vermeil, (2 ouvrages), se termine le 30 juin 2013. L'histoire doit  soit se dérouler en maison de retraite, soit l'un des personnages principaux est une personne âgée.

J'espère réussir à respecter les engagements que je prends ainsi, bien que ce ne soit pas gagné d'avance.  Au moins ça me stimule! 

lundi 27 août 2012

J'aime pas ça de Fiona Faulkner - Faire manger de tout aux enfants.


Ce livre se veut un soutien aux familles qui se désespèrent  devant un petit  bout de chou de 18 mois qui refuse systématiquement de manger depuis quelque temps. Tout ou presque a déjà été tenté, des pitreries  au silence et au désintérêt apparent alors qu’au-dedans de soi on n’est que tremblement et appréhension!

C’est le moment d’essayer  ce que propose l’auteur qui  dirige des ateliers de cuisine à destination des enfants et qui affirme ici réussir à faire manger,  de façon saine et variée,  les plus récalcitrants  parmi les tout petits, grâce à des astuces et de délicieuses recettes.

Voyons voir!
Pas le temps d’appliquer ses 25 conseils. Dans un premier temps, je choisis les plus urgents et les plus simples: impossible en effet de  faire pousser moi-même mes légumes  ou d’aller les récolter. Je suis en pleine ville!

J’élimine aussi d’emblée les conseils suivants parce que je n’ai pas que ça à faire, non plus:
Prenez du temps pour cuisiner (Je suis obligée d’aller vite)
- Inspirez profondément et partez faire des courses en famille. (Impensable!)
Devenez la reine du marketing: choisir les aliments les plus attractifs pour les enfants. Ils n’aiment pas le vert, en général.  
      - Faites des petits arbres de brocoli et des polochons de pommes de terre (C’est vraiment pas gagné pour moi!)

En revanche je retiens :
-        - Ne pas punir ni récompenser avec de la nourriture
-         Persévérer. Un enfant aurait besoin de voir une vingtaine de fois un aliment avant d’avoir envie d’y goûter.
-          Tout couper en petits morceaux
-          Ne pas tout manger forcément jusqu’à la dernière miette.
-          Faire diversion.  Oui à la télé pendant que bébé mange (Je ne pourrai pas, je crois. Je suis trop contre)
-          S’ils ne mangent pas, qu’ils boivent. Tout passer à la centrifugeuse.
-          Montrer l’exemple en mangeant avec eux. ( !?)
Pas sûr que tout ça marche mais au stade où j’en suis, je vais essayer. 
J'aime pas ça de Fiona Faulkner, faire manger de tout aux enfants, (tutti frutti, 2012, 128 pages)
C'est ma première participation au challenge de Syl: Les livres gourmands

Le sel de la vie, Françoise Héritier

Les recueils très minces, le plus souvent écrits par des célébrités,  sont très à la mode. On le sait depuis la plaquette d’une trentaine de pages  de Stéphane Hessel: «Indignez-vous» publié en 2010. Cet essai  a fait fureur et son succès éditorial a surpris tout le monde.

De même les listes plaisent aussi beaucoup. Celle de Grégoire Delacourt se vend très bien en ce moment  et «La liste de mes envies» fait partie des meilleures ventes, 150 000 exemplaires vendus en quatre mois selon son éditeur JC Lattes.
Un autre livre est dans ce cas,  «Le sel de la vie» de  Françoise Héritier, chez Odile Jacob. En 87 pages, celle que l’on connaît surtout comme disciple de  Lévi-Strauss, anthropologue honoraire au Collège de France, énumère tous les petits bonheurs qui égaient sa vie. Naturellement ce sont ceux qui, pour la plupart, sont aussi les nôtres et chacun peut s’y retrouver.
 Ce livre m’a évidemment fait penser  à Georges Pérec et à son exercice de style: «Je me souviens», ainsi qu’à Philippe Delerme et à ses plaisirs minuscules qui ont suivi «La première gorgée de bière».

C’est très simplement énoncé, en plusieurs chapitres comme un journal au jour le jour et plus curieusement sous forme de  phrase unique qui se déroule et se prolonge en un fil sans fin. Les points de suspension sont à l’honneur d'un chapitre à l'autre.
C’est adressé sous forme de lettre au professeur qui la soigne depuis longtemps à l’hôpital de la Pitié pour une maladie auto-immune très douloureuse, une polycondrite atrophiante évolutive, qui attaque les voies respiratoires,  les reins et le cœur.
Je cours le risque de vous ennuyer »grave »…
Et encore…
…fondre devant la retenue dévastatrice de Robert Redford dans "Out of Africa" ou la tout aussi dévastatrice insolence de Glark Gable dans "Autant en emporte le vent", trier des lentilles, ôter un caillou de son soulier…
…conduire une conversation complice avec un chat  siamois ou un épagneul breton, éternuer sept fois de suite, chanter "Stormy wheater" comme Lena Horne…
…reprendre en chœur des airs populaires, avoir des secrets, se faire consciemment des idées, jouir de la douceur du temps…  
J'ai été surprise tout d’abord et j’ai pris plaisir à lire les premières pages mais je n’ai pas pu continuer très longtemps car ça finit par devenir ennuyeux. Dommage. Je n’avais qu’une envie, c’est de me créer ma propre liste mais naturellement plus brève car encore une fois, une liste trop longue est horriblement barbante pour moi.  Je ne supporte pas. N’empêche, l’idée est heureuse au milieu de tous ces récits si noirs et  pessimistes qui nous tombent dessus en ce moment, cet hymne à la joie fait du bien mais à petites doses. Le livre se vend très bien et les exemplaires disparaissent comme des petits pains. Le succès est là et moi, je ne suis qu’un bémol  sans importance dans la foule des louanges… alors ne vous privez pas,  si le cœur vous en dit! C'est un livre à offrir, un livre-cadeau! A lire, l'entretien avec l'auteur dans La Vie:  Ici, Le sel de la vie, Lettre à un ami, Françoise Héritier, (Odile Jacob, février 2012, 92 pages)

dimanche 26 août 2012

Épitaphe de Ronsard et sa rose: la "Pierre de Ronsard"


Celui qui gît sous cette tombe-ci
Aima première une belle Cassandre,
Aima seconde une Marie aussi, 
Tant en amour il fut facile à prendre. 
De la première il eut le cœur transi, 
De la seconde il eut le cœur en cendre,
Et si des deux, il n'eust oncques merci. 

Ronsard: Deuxième livre des Amours

Une fleur, "La Pierre de Ronsard",  a été créée en l'honneur du poète par le pépiniériste François Meilland. Cette rose a été élue "Rose favorite du monde" en mai 2006 lors de la 14e convention mondiale de la rose à Osaka (Japon).

J'aime un corps de jeunesse en son printemps fleury

J'aime un corps de jeunesse en son printemps fleury
D'autant que l'arrogance est pire que l'humblesse,
Que les pompes et fards sont tousjours desplaisans,
Que les riches habits d'artifice pesans
Ne sont jamais si beaux que la pure simplesse;

D'autant que l'innocente et peu caute jeunesse
D'une vierge vaut mieux en la fleur de ses ans,
Qu'une Dame espousée abondante en enfans;
D'autant j'aime ma vierge humble et jeune maistresse.

J'aime un bouton vermeil entre-esclos au matin,
Non la Rose du soir, qui au Soleil se lâche;
J'aime un corps de jeunesse en son printemps fleury:

J'aime une jeune bouche, un baiser enfantin
Encore non souillé d'une rude moustache,
Et qui n'a point senty le poil blanc d'un mary.

Pierre de Ronsard (1524-1585) ~ Amours Diverses
Agnolo Bronzino (Florence,1503-1572)~~ Hélène de Surgères
Ronsard a cinquante quatre ans quand il rencontre Hélène de Surgères, une des filles de la Cour. C'est la reine Catherine de Médicis qui invite le poète à la  consoler pour la perte de Jacques de La Rivière, mort dans la guerre civile du moment. 

samedi 25 août 2012

Rentrée littéraire 2012, Ce que cache ton nom de Clara Sanchez

Sur les 261 œuvres présentes  sur la liste du prix Nadal 2010, la plus prestigieuse  récompense littéraire espagnole,  c’est ce roman de Clara Sanchez qui l’a obtenu. 

Au cœur de ce roman se tient  la rencontre, plus qu’improbable a priori, dans une petite ville de la Costa Brava espagnole, de deux êtres que tout sépare et qui n’aurait jamais dû se rencontrer: Julian, à la fin de sa longue vie, un républicain espagnol, rescapé du camp de Manthausen  et Sandra, une toute jeune femme, enceinte d’un homme qu’elle croit ne pas aimer, venue se réfugier là, dans une petite maison prêtée par sa sœur.
Julian poursuit des criminels  nazis, de paisibles retraités en apparence, dont un couple d’octogénaires norvégiens  qui se prennent d’amitié pour Sandra qu’ils installent bientôt dans leur belle villa.  Quelle est leur véritable intention ?
Heureusement Julian met en garde Sandra qui va l’aider dans ses recherches mais le danger guette cependant.

Ce n’est pas à proprement parler un thriller ni un policier mais plutôt un bon roman psychologique où priment les sentiments humains, des plus violents aux plus subtils. La haine, l’amour, l’amitié, lla jalousie et le besoin de vengeance et de justice, dominent tour à tour. La toile de fond, derrière l’apparence légère et anodine d’une petite station balnéaire espagnole, n’est rien moins que la tragédie apocalyptique des camps de concentration nazis dans  toute leur horreur.
C’est  avec plaisir et intérêt que j’ai lu ce roman essentiellement pour les deux narrateurs que sont les deux personnages  principaux  habilement campés dès les premières pages. Après quoi, la curiosité nous entraîne à vouloir savoir ce qu’ils vont devenir : on ne peut plus lâcher l’histoire! Le récit balance constamment entre les récits des deux narrateurs
Julian: «Ma fille pensait que j’étais un vieux fou, un cas désespéré obsédé par un passé qui n’intéressait plus personne et dont il n’oubliait ni un jour, ni un détail, ni un visage, ni un nom,  même si c’était un nom allemand long et compliqué, alors qu’il devait souvent faire un gros effort pour se rappeler le titre d’un film.»
Sandra: «J’étais enceinte de cinq mois et, plus ça allait, moins je voyais clair dans la question de savoir si je pouvais avoir ou non  l’envie de former une famille ; d’un autre côté,  c’était un fait que j’avais laissé mon travail, avec une complète insouciance,  justement maintenant que le travail était difficile à trouver, et que ça allait être dur de m’occuper toute seule de l’enfant.
C’était fin septembre: on pouvait encore se baigner et prendre le soleil.  Vers le milieu du mois, les maisons alentour avaient fermé leurs portes jusqu’au  prochain été. Quelques-unes seulement , comme la nôtre, restaient habitées toute l’année et  la nuit,  malgré les lumières, d’ailleurs peu nombreuses et éparpillées, elles donnaient une terrible impression de solitude.» 
 
Rentrée littéraire 2012, Ce que cache ton nom de Clara Sanchez, Prix Nadal 2010,  (Marabout,  à paraître le 26  septembre 2012, 443 pages),Lo che esconde tu nombre, Traduit de l’espagnol par Louise Adenis, 2010
Challenge rentrée 2012: Ici.  Autre avis positif: Pimprenelle

vendredi 24 août 2012

Ray Bradbury, un écrivain à l'honneur



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Il est mort récemment, le 5 juin 2012, à 92 ans.

En 1950 paraissaient ses "Chroniques martiennes"

Mercredi dernier, le 22 août 2012, son nom était donné par la Nasa à la zone d'atterrissage de Curiosity sur Mars.

Déclaration de Michel Meyer, responsable scientifique du programme d’exploration de Mars à la Nasa:  
Ses livres nous ont inspirés, les Chroniques martiennes ont inspiré Curiosity et ouvert nos esprits à la possibilité d’une forme de vie sur Mars.


jeudi 23 août 2012

Faut-il en rire ou en pleurer? La restauration ratée de Borja.



Que penser de cette restauration  du christ de Borja dont tout le monde parle désormais?

Aux dernières nouvelles, ce serait une octogénaire qui aurait décidé de faire une bonne action pour l'église de son village en restaurant cette peinture murale du XIXe siècle,  d'un Christ peint par Elias Garcia Martinez  qu'elle trouvait très abîmée. Elle aurait agi spontanément sans demander la permission de personne. 
Bien sûr un tas de caricatures sortent en ce moment,  ICI par exemple d'où je tiens mes informations. 

Le quai des brumes, Pierre Mac Orlan


Ce roman,  de 1927, a, certes  inspiré  le film de Marcel Carné et de Jacques Prévert, de 1938, avec Jean Gabin et Michèle Morgan,  et cependant ce dernier récit   n'a qu'un vague rapport avec celui de Pierre Mac Orlan. (1882/1970) dans lequel tout se joue à Montmartre au lieu du Havre.

Montmartre, avant la guerre de 14,  un soir de neige au «Lapin Agile», le cabaret de Frédéric,  dit Frédé, devenu l’actuel lieu touristique que l’on connaît,  quelques pauvres diable du coin vont se retrouver pour y vivre une nuit oppressante et violente, confrontés à des bandes de marlous, d’apaches, bref de jeunes voyous  du quartier, de ceux qui cherchent querelle pour un oui ou pour un non.
Rien de bien  nouveau sous la neige qui glace pour la nuit  toute trace de misère? Sans doute ! Signe des temps  cependant, avec la menace de la  guerre  qui plane, les soldats, prêts à partir au front et les démunis et affamés de tous bords qui se retrouvent piégés et barricadés ce soir-là  dans le silence et l’obscurité de la grande salle nue, cible des tirs de revolver des clans venus des fortifications voisines, bien décidés à régler leur compte et à dépouiller les malheureux clients isolés du cabaret.
Se retrouvent là, par hasard,  ce soir fatidique, outre Frédé , le patron, ( si célèbre par la suite, avec les chanteurs et poètes qui se retrouvèrent chez lui. Mac Orlan pensa même épouser sa fille un moment), Jean Rabe, jeune homme de vingt-cinq ans,  bachelier sans profession, crevant de faim: «Il y avait exactement sept semaines qu’il n’avait pas mangé de viande saignante.» toujours à la recherche d’une chambre où dormir,  un soldat qui ne pense qu’à déserter, et Michel Kraus, un peintre d’origine allemande qui ne vend jamais rien, enfin Nelly, 19 ans, la serveuse et d’autres encore aussi mal en point.
Au dehors erre un mystérieux  et inquiétant boucher, Zabel, avec un étrange colis gris sous le bras. Son comportement et ses discours sont étranges et les habitants s’en méfient et l’épient.
S’installe comme un climat d’enquête policière.
Mais la misère emporte chacun par monts et par vaux et seuls les animaux familiers apportent un peu de réconfort dans ces vies solitaires  si désespérées avec en point de mire les tranchées prêtes à s’ouvrir.
Ai-je aimé cette lecture ?
J’aime Mac Orlan,  le poète et le chansonnier, l’ami de Carco,  Max Jacob et Apollinaire, tous ces artistes si prometteurs  qui fréquentèrent Montmartre à cette époque et ce roman rappelle combien leur  vie pouvait être misérable. L’auteur n’en a pas gardé que de bons souvenirs mais son ambition était d’associer ce roman à deux autres pour réaliser comme une sorte de «reportages  sentimentaux» sur l’atmosphère très spéciale  de l’Europe entre deux guerres.
Ce roman est noir, très noir et sans espoir. La guerre suit la misère. Restent Nelly, les chats, les chiens… Seules consolations!
Une lecture triste  et nostalgique mais  un beau roman. 
Le quai des brumes, Pierre Mac Orlan, (Gallimard,  1927, 175 pages)

mercredi 22 août 2012

Quand souffle le vent de Laurent Galandon et Cyril Bonin, ma BD du mercredi

Au début du XXe siècle, dans le pays minier du nord de la France, les hommes menacent de faire grève. Par économie, leur patron néglige la sécurité de tous. Arrivent des caravanes de tziganes qui demandent à s’installer là quelques jours mais les habitants leur sont hostiles sauf le jeune Antoine qui rêve de voyages et d’aventures. Au centre du récit,  la belle Kheshalya que l’on voit sur la couverture. Un mystère plane autour d’elle, peut-être une malédiction…

Bien sûr ce qui devait arriver arrive : Antoine et la belle gitane tombent amoureux mais  c’est à nouveau le scénario de Roméo et Juliette qui se joue. Personne ne veut de cette liaison, d’un côté comme de l’autre et les malheurs s’enchaînent. Sur ce,  s’ajoutent deux autres récits  :  l’ancienne histoire de celui qui se révèle le père de la jeune adolescente et la jalousie amoureuse de la rivale délaissée d’Antoine. Tout cela ne présage rien de bon quant à l’avenir des amoureux !
J’aurais aimé pouvoir apprécier les images à défaut  de réussir à m’intéresser à l’histoire qui manque singulièrement d’originalité mais non, je les ai trouvées peu lisibles, brouillonnes et surtout aplaties par ce parti-pris du choix des couleurs beaucoup trop mornes à mon goût. Le tout sans relief, sans punch, sans mordant, bref, sans intérêt pour moi. Déception ! 

Quand souffle le vent de Laurent Galandon et Cyril Bonin - Dargaud, collection Long courrier - 2008, 56 pages, One-shot. 


Bon retour à ceux et celles qui sont rentrés de vacances et bonnes vacances à ceux qui viennent de les prendre, comme Yvan qui a cependant laissé l'adresse de son billet

Alex, Amandine,  Arsenul,  Asphodèle,  Benjamin, Carole choco,  Chrys,  Delphine, Didi,   Dolly,  Emmyne, Estellecalim, Hilde, Hélène,   Hérisson08, Iluze,  l' Irrégulière,  Jérôme, Kikine,
La-ronde-des-post-it, Lirepourleplaisir, Lou, Lounima, Lystig, Mango, Manu, Margotte, Marguerite,  Marie,  Marion,  Mathilde, Mélo, Miss Alfie,   Moka,  Mo' Natiora,  Noukette,    OliV', Pascale, Paulinelit,  Sandrounette,  Sara,  Sofynet,  Soukee,  Syl,  Theoma, Un amour de bd, Valérie, Sophie/Vicim,  Syl,  Vero, Wens,  Yaneck,   Yoshi73,  Yvan  Mr Zombi, 
 32 octobre,
Note pour le Top BD  de Yaneck: 07/20

mardi 21 août 2012

Carson McCullers et Annemarie Schwarzenbach

1942

Nous attendions tous des nouvelles  de la guerre. (…) Je guettais les télégrammes et je les ouvrais en tremblant.
J’en ai reçu un  d’ Annemarie Schwarzenbach.

Erika Mann avait fini par la convaincre de se faire hospitaliser à Wetchester, en espérant que les médecins la guériraient de sa dépendance à la morphine.  Le télégramme disait:  
«Me suis enfuie de Blithe View. Suis chez Freddy, l’un de nos amis communs. Maintenant que faire ?»  
J’ai repris mes valises et j’ai sauté dans le train de New York. L’appartement de Freddy se prêtait mal à une telle situation. Il avait dû tendre une couverture entre l’alcôve d’Annemarie et le studio où il recevait ses clients.  Elle jouait du Mozart quand je suis arrivée.  Quelques mesures de Mozart qu'elle répétait indéfiniment. Elle voulait que j’appelle un certain nombre de personnes parmi lesquelles Margot von Opel. (…) J’ai essayé de la calmer mais elle n’était plus en mesure de m’entendre. J’ai rejoint Freddy et nous avons cherché une solution. Pendant que nous parlions,  Annemarie est entrée dans la salle de bains en courant et la porte a claqué derrière elle. Nous avons attendu, blêmes d’inquiétude. Quand nous avons vu qu'un filet de sang en sortait, Freddy s’est précipité pour tenter de l’ouvrir, en me criant: 
-          Allez vite chercher un médecin. 
(…) Après avoir sonné à plusieurs portes, j’ai fini par obtenir une adresse,  mais le médecin n’était pas à son cabinet. Je suis retournée chez Freddy. Une dizaine de policiers occupaient l’appartement. Annemarie s’est tournée vers moi: 
-          Pourquoi as-tu prévenu la police?
-          Je ne l’ai pas prévenue.  
 J’étais trop épuisée pour m’expliquer davantage. Comme ils voulaient la conduire de force à l’hôpital Bellevue et qu’elle se débattait, j’ai crié avec désespoir:
-      Mais enfin, vous, des policiers,  êtes-vous donc incapables de voir que quelqu'un souffre ou qu'il est blessé? Cette jeune femme est étrangère, loin de chez elle, et comme  nous sommes en guerre, elle ne peut pas rentrer dans son pays, et elle est désespérée. Vous n’avez donc jamais vu  quelqu'un, l’un de vos proches, ou un autre, si profondément désespéré qu'il ne supporte plus de vivre? 
Entre temps, on avait réussi à joindre le médecin personnel d’Annemarie  qui lui suturait le poignet. De sa main valide, elle s’accrochait à moi  (…)  et elle m’a embrassée

-          Merci pour tout,  my Liebling.
C’était la première fois qu'elle m’embrassait et ce fut la dernière. J’ai appris plus tard par Freddy, que les policiers l’avaient traînée dans l’escalier et qu'elle s’accrochait désespérément à la rampe. Un spectacle que je n’aurais pas supporté. A Bellevue, elle s’est montrée la plus douce des patientes, et la plus compréhensive.  Elle découvrait la souffrance des autres et voulait leur venir en aide.  Mais elle m’a écrit qu'elle ne supportait plus la vie de l’hôpital et qu'elle quittait l’Amérique pour Lisbonne.  Elle a fini par rejoindre les Forces Françaises libres et à travailler pour de Gaulle au Congo où un indigène a sculpté une sculpture à son image.
Lorsqu'elle m’a écrit de nouveau, elle m’a appris, à mon grand soulagement qu'elle regagnait la Suisse. Elle possédait à Sils une petite ferme que son père lui avait offerte.
La dernière de ses lettres m’est arrivée de Suisse.
Je veux à jamais te remercier.  Si je retourne un jour en Amérique,  j’aimerais que tu m’autorises à traduire: «Reflets dans  un œil d’or [Le livre lui est dédié].
Il y avait comme une dichotomie en elle. D’un côté la guerre, où elle voulait servir comme correspondante, de l’autre, cette petite ferme de Sils où elle voulait vivre tranquille en écrivant des poèmes.
Klaus Mann m’a télégraphié peu de temps après, pour m’apprendre qu'après une chute de bicyclette qui l’avait entraînée au fond du ravin, Annemarie était dans le coma.  Elle est morte à l’hôpital de Zurich sans avoir repris connaissance.
J’étais seule à Yasso, dans une petite maison.  J’ai eu tout le temps de souffrir et de me souvenir.  Nous avions si souvent parlé de sa dépendance à la morphine, qui avait tant compté pour elle pendant plusieurs années.  Je tiens à dire pourtant qu'en dépit d’un tel handicap,  qui la rendait presque infirme,  elle a brillamment passé son doctorat de philosophie à l’université de Zurich. Je tiens à dire aussi qu'à chaque période de crise elle était là, fidèle, prête à faire ce qu'on attendait d’elle et davantage. Je ne me connais pas d’amie que j’ai autant aimée et dont la mort inattendue m’ait causé un si grand chagrin.  
Illuminations et Nuits Blanches, Carson McCullers (10/18), 2001, 284 pages)
Autobiographie inachevée.
Correspondance de Carson et Reeves McCullers pendant la seconde guerre mondiale.
 Traduit de l’américain par Jacques Tournier.
Titre original : Illuminations and Night Glare. 1999