vendredi 31 juillet 2009

D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère


Ce livre est un exercice d’admiration pour des personnes touchées par un immense malheur qui brise leur vie mais que le malheur rend plus fortes. Les trois histoires racontées sont vraies et touchent l’auteur de très prés. Ce pourrait être trois nouvelles racontées successivement mais ce qui en fait un vrai roman c’est l’attention que leur porte Emmanuel Carrère qui s’intéresse ici à d’autres vies que la sienne, contrairement à certaines de ses dernières œuvres
J’avais beaucoup aimé son livre : «L’Adversaire» sur l’énorme mensonge fait par Jean-Claude Romand à sa famille, en vivant, pendant 17 ans, la vie d’un médecin qu’il n’était pas et préférant les tuer tous, père, mère, femme, enfants, afin qu’ils ne sachent jamais la vérité. L’auteur s’intéressait déjà alors à une autre vie que la sienne, puis il est revenu à ses propres fêlures et j’ai moins aimé : «Un roman russe» où il règle des comptes avec son passé familial.
Mais ce dernier livre sorti cette année 2009, «D’autres vies que la mienne » m’a beaucoup plu. Les trois histoires évoquées forment une chaîne continue et on passe de l’une à l’autre avec beaucoup de naturel, sans étonnement.
Il s’agit tout d’abord d’un jeune couple ayant perdu leur fille de 4 ans à cause du tsunami. Le grand-père à qui elle avait été confiée un moment ne peut rien faire pour la sauver, emporté lui-même par l’immense vague. Les jeunes parents s’en sortiront en s’impliquant pour aider d’autres personnes à retrouver les leurs.
Leur petite fille s’appelait Juliette et une autre Juliette va mourir à son tour, à 33 ans. C’est la belle sœur de l’auteur, la sœur de sa femme, juge d’instance d’une grande efficacité, atteinte d’une récidive d’un cancer qui l’avait déjà contrainte à toujours s’appuyer sur des béquilles. L’auteur décrit ses derniers jours vécus en famille jusqu’à la dernière fête de l’année à laquelle elle aurait voulu assister pour voir ses trois petites filles jouer sur les planches, ce qu’elle ne put réussir, emportée par la maladie quelques jours auparavant et soutenue jusqu’au bout par son mari.
Après sa mort, Etienne, son meilleur ami, son collègue au tribunal d’instance de Vienne, tient à raconter à la famille et au romancier en particulier, quelle juge efficace elle était. Lui-même, atteint aussi de cancer, a dû être amputé d’une jambe. Ils étaient très complices dans leur travail et se complétaient pour défendre les plus faibles dans leurs démêlés avec les sociétés de prêts qui les ruinaient. .
Ce livre est bouleversant, poignant et cependant d’une grande sobriété. Seul l’essentiel est dit. Il en résulte le sentiment d’une grande humanité. Les personnages ne sont pas des héros, ce sont des gens ordinaires qui ont eu à se confronter à des événements très douloureux et injustes et qui ont su ne pas sombrer dans la dépression ou la révolte. Ils souffrent, leur vie s’est écroulée mais ils finissent par reprendre le dessus d’une façon ou d’une autre. On se dit que ce qui leur arrive peut aussi nous arriver, que c’est une question de hasard, de chance, bonne ou mauvaise et c’est ce qui fait peur. et ce qui apaise aussi. La fin du livre est magnifique et j’éprouve une grande admiration pour l’auteur, capable d’écrire avec tant de sensibilité, de délicatesse et de maîtrise. C’est un très beau livre!
D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère (P.O.L., 2009, roman)

jeudi 30 juillet 2009

Puisque l'aube grandit...La bonne chanson, Verlaine,







Dans le livre de Laurence Tardieu évoqué hier : «Puisque rien ne dure», la jeune épouse se faisait lire un poème de Verlaine par son mari, accouru à son chevet, au moment de sa mort .

Le voici ! Il s’agit d’un poème de «La bonne Chanson», écrit en 1870, avant son mariage avec Matilde Mauté. Il croit que, grâce à cette toute jeune fille, sa vie deviendra meilleure et il évoque le bonheur conjugal, paisible et familier qu’il espère.
Pour l’illustrer j’ai choisi des tableaux de Bonnard et de Vuillard qui , eux aussi, ont aimé évoquer le bonheur simple, dans le décor quotidien et banal de leur vie de famille
Puisque l’aube grandit, puisque voici l’aurore,
Puisque, après m’avoir fui longtemps, l’espoir veut bien
Revoler devers moi qui l’appelle et l’implore,
Puisque tout ce bonheur veut bien être le mien,
C’en est fait à présent des funestes pensées,
C’en est fait des mauvais rêves, ah ! c’en est fait
Surtout de l’ironie et des lèvres pincées
Et des mots où l’esprit sans l’âme triomphait
Arrière aussi les poings crispés et la colère
A propos des méchants et des sots rencontrés ;
Arrière la rancune abominable ! arrière
L’oubli qu’on cherche en des breuvages exécrés
Car je veux, maintenant qu’un Être de lumière
A dans ma nuit profonde émis cette clarté
D’une amour à la fois immortelle et première,
De par la grâce, le sourire et la bonté,
Je veux, guidé par vous, beaux yeux aux flammes douces,
Par toi conduit, ô main où tremblera ma main,
Marcher droit, que ce soit par des sentiers de mousses
Ou que rocs et cailloux encombrent le chemin ;
Oui, je veux marcher droit et calme dans la Vie,
Vers le but où le sort dirigera mes pas.
Sans violence, sans remords et sans envie :
Ce sera le devoir heureux aux gais combats.


Et comme, pour bercer les lenteurs de la route,
Je chanterai des airs ingénus, je me dis
Qu’elle m’écoutera sans déplaisir sans doute ;
Et vraiment je ne veux pas d’autre paradis.
Paul Verlaine : La bonne chanson (1870)

mercredi 29 juillet 2009

Puisque rien ne dure de Laurence Tardieu

Les livres qui ont pour point de départ la mort ou la disparition d’un enfant sont très nombreux en ce moment ! Qu’ils soient policiers ou non, ils se multiplient. Me viennent à l’esprit : D’autres vies que la mienne d’Emmanuel Carrère que je viens de terminer, Puisque rien ne dure de Laurence Tardieu que je me prépare à commenter, L’année brouillard de Michelle Richmond, présenté par de nombreux blogs, L’heure trouble de Johan Theorin, un policier suédois très réussi, et sûrement d’autres que j’oublie. Il est probable que ce soit une des peurs les plus partagées actuellement par les jeunes écrivains. « Ecrire sur ce qui me fait le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents. » écrit E. Carrère.

C’est aussi le sujet central du superbe roman de Laurence Tardieu: Puisque rien ne dure que je viens de terminer et qui m’a bouleversée. Qui d’ailleurs, parmi les blogueurs, n’a pas encore exprimé son admiration pour ce récit, ou ne se prépare à le faire, malgré le sujet qui, a priori, peut sembler trop pénible ? Tous s’accordent pour louer la sobriété du traitement de ce thème douloureux. Pas de pathos mais beaucoup de dignité et de maîtrise chez la romancière. Une vraie réussite !

Un couple se reforme, momentanément, à l’occasion de la mort de Geneviève qui, à l’instant de l’agonie, appelle Vincent, son mari, dont elle est séparée depuis 15 ans, Leur couple s’est défait à la disparition restée inexpliquée de leur petite fille Clara. Ils se séparent en abandonnant tout de leur ancienne vie. Lui part en ville et elle s’enferme à la campagne

Vincent va accourir au chevet de sa femme. Pendant son trajet en voiture il repense à leur histoire qui remonte à l’année 1990 et ce sera la première partie du roman. La seconde évoque quant à elle, les souvenirs présents de la malade, en juin 2005, et la troisième et dernière partie les montre réunis « Ensemble », toujours en juin 2005, au moment de la mort elle-même et juste après.

Geneviève, seule dans sa grande maison vide veut parler de leur fille une dernière fois avec lui. Il vit jusqu’à la fin avec elle, lui donne à boire, parle sans cesse de leur fille, lui lit des livres choisis au hasard. Il se trouve qu’il s’agit d’un poème de « La bonne chanson » de Verlaine.

Ensuite, apaisé, il reviendra auprès de la femme qui vit avec lui et qui l’a laissé partir sans rien dire.

J’ai beaucoup aimé ce livre et le place parmi mes coups de cœur de l’année.

L’auteur : Elle est née à Marseille, en 1972 et vit en région parisienne. Ce livre est son 3ème roman, (avec l’aide du Centre national du livre)

Puisque rien ne dure de Laurence Tardieu

mardi 28 juillet 2009

Ocean's Songs de Olivier de Kersauson

"Dès qu'on prend la mer, le monde n'a plus de limite".

L’idée du livre est originale : raconter non pas ses propres voyages en mer mais décrire les défauts et les qualités des grands océans tels que les a ressentis le grand baroudeur qu’est aussi l’auteur. Olivier de Kersauson raconte dans ce livre sa géographie intime des mers du globe. Il a ses préférences, l’Atlantique, bien sûr, son premier amour et ses antipathies, particulièrement l’Océan indien : « le pays de la souffrance, le pays des vents mauvais, le pays où les muscles de l’homme sont durs comme du plâtre à force de travail sur le pont. »

Géronimo

Il nous parle de son enfance bretonne tellement sévère qu’il a très vite coupé les ponts avec sa famille et son enfance. Il nous raconte ses meilleures années passées à seconder Eric Tabarly qu’il aime et admire par-dessus tout.

Il nous présente les lieux qui l’ont marqué sur tous les continents Il est allé partout, en sportif, sans jamais se fixer vraiment, toujours prêt à repartir en mer. Il a ça dans le sang. C’est dans sa famille. Il évoque la vie d’un de ses oncles, enterré en Afrique du sud, qui fut un héros de la guerre des boers, au début du XXe siècle. Auparavant il confie sa passion pour « l’histoire des explorateurs qui ont reculé les remparts du monde », en particulier Cook et La Pérouse sans lesquels « jamais nous n’aurions navigué de la sorte. »

Enfin il termine son livre par l’évocation de sa solitude actuelle, revendiquée et sans limites depuis la mort de sa femme en 2005. Il a choisi comme endroit où vivre désormais l’île deMoorea, en Polynésie française.

Moorea



Ni les courses autour du monde, ni les prouesses maritimes ne m’intéressent particulièrement, bien que d’une famille de marins, de génération en génération, mais où, c’est bien connu, du moins en Bretagne, il n’y a pas si longtemps, les femmes ne montaient jamais sur un bateau et ne savaient pas nager. Je sais nager, je navigue souvent, mais le monde des courses en solitaire et autres prouesses maritimes me laisse indifférente. Pourtant j’ai bien aimé ce livre, surtout vers la fin : ses réflexions sur La Grande-Bretagne et les Amériques et le chapitre final : Voilà.

S’il est un pays qu’il admire, c’est bien l’Angleterre.

« L’Angleterre fabrique des fortunes plus vite qu’on ne monte des oeufs en neige. Ce pays est aussi la fabrique mondiale des grands excentriques et des grands auteurs à l’humour froid qui ont sur leur propre pays un regard d’une grande férocité. Evelyn Waugh reste un maître en la matière. »

« L’Angleterre, c’est le mélange des grandes familles et des petites gens à la Dickens. »

« J’ai toujours aimé cette grande liberté de ton chez les Anglais. Ils ne se poussent pas du col et font ce qu’ils disent. Ne sont pas agités comme nous pouvons l’être. Ils ne doutent jamais de leur légitimité. (...) L’Angleterre, c’est le goût du concret et des vérités dites. (...) Nous, Français, avons colonisé comme on a évangélisé : pour construire un lien. Eux, ils ont colonisé dans un but de captation qu’ils n’ont jamais caché. Nous, si. »

« Tourner autour du monde reste pour moi un inépuisable magasin d’aventures. Une seule chose a compté pour moi : le plaisir d’être en mer…. Le temps passé seul dans l’effort ouvre des failles béantes sur soi-même. J’y ai découvert le meilleur de moi-même. Mais le pire aussi. J’ai entrepris une conversation avec toujours le même interlocuteur : moi-même. Mon double posait un jugement sur moi. La solitude n’est pas forcément réconfortante mais elle me ramène à mes actes et me conduit à être en perpétuelle négociation avec moi-même. J’ai compris que je mourrai seul. Je suis accroché à ma solitude. »

Un bon moment de lecture donc avec un grand solitaire comme le sont les marins d’exception.

Ocean’s Songs de Olivier de Kersauson

lundi 27 juillet 2009

L'été en flammes, mon Harlequin, de Vicky Lewis Thompson

Dans la catégorie « Désirs », voilà un petit livre qui comblera les amoureuses classées « Aventurières » mais qui aura tendance à rebuter les « Romantiques » dont je fais partie, selon le désormais fameux test des Harlequinades ! Pour s'inscrire, c'est ici ou ici
En effet, dans L'été en flammes, la recherche du Graal, pour Tess, notre héroïne, n’est ni plus ni moins que la perte de sa virginité ! A 26 ans, elle se sent handicapée puisque toujours et encore vierge.
 A l’âge presque canonique de vingt-six ans, elle était encore vierge. Autant dire gravement handicapée ! 
La grande question est donc très clairement posée dès les premières lignes : à qui demander ce service ? Vous imaginez l’importance de l’enjeu ! Si on veut connaître la fin de cette douloureuse énigme, il faudra attendre l’épilogue, à la 179ème page pour être sûr que le choix est le bon et que le nirvana sera bien atteint ! Ouf ! Nous voilà rassurés ! Ceci dit, on s’en doutait depuis la page 8, voyez plutôt le portrait suivant et osez avouer que ce n’est pas l’homme le plus séduisant qui soit !
« C’était Matthew MacDougal, son camarade d’enfance, qui lui avait procuré son cher poney, ce même Matt qui l’avait un jour sauvée d’un serpent à sonnette, lorsqu’ils étaient enfants. Depuis il était son meilleur ami, le seul sur qui elle pouvait compter en cas de coup dur…"

Nous avons donc une héroïne, Tess, dont le but est : perdre sa virginité !
Les obstacles sont ses quatre frères, pas moins ! Ils la couvent trop et chassent tous les prétendants !
L’aide viendra, bien sûr du fameux Matt, son meilleur ami.
Que craint-elle pour se lancer un tel défi ? La moquerie des lycéennes new yorkaises qu’elle doit surveiller à la rentrée scolaire, la honte d’être différente ?
Que veut-elle vraiment derrière l’anecdote ?: la considération due à la femme libérée, libre de son plaisir !
Il me semble que j’ai tout et rien dit en même temps !

Mon résumé : Tess ou la perte de la virginité: Dans une petite ville de province, Tess, une jeune fille de 26 ans, s’apprête à devenir surveillante dans un lycée de New York. Cependant, avant son départ, elle se fixe un but pour l’été : celui de perdre sa virginité qui lui pèse désormais car elle craint d’être la risée des lycéennes ! 
Ses quatre frères l’ont si bien protégée jusqu’ici qu’ils ont fait le vide autour d’elle en écartant systématiquement tous ses prétendants. Dès lors, il ne lui reste plus qu’à demander à Matt, son meilleur ami de se charger de lui trouver la personne adéquate pour lui rendre ce grand service.Ces deux-là se connaissent depuis toujours. C’est le meilleur ami de ses frères avant d’être le sien. Choqué par la décision de Tess qu’il connaît suffisamment pour savoir qu’elle ira jusqu’au bout de son idée, il décide que ce ne peut être que lui le mieux placé pour lui rendre ce service. Cependant le secret le plus absolu doit être gardé car les frères sont redoutables et toujours aux aguets.
Matt fait traîner les préliminaires : envoi de fleurs, petits rendez-vous dans les restaurants, premiers baisers, premiers émois, dans une voiture tout d’abord, puis dans un bois, enfin dans la chambre de la jeune fille elle-même, considérée comme un sanctuaire puisqu’une ligne de marguerites fraîchement cueillies y conduit !
Nous sommes au milieu du livre et dès ce moment nous assistons à la montée des désirs réciproques. Ce pourrait être le catalogue des petits plaisirs érotiques ou comment prendre son temps pour bien connaître chaque endroit de son corps et celui de son partenaire. La jeune Tess n’est pas une oie blanche : elle a lu beaucoup de livres sur la question et se montre très vite suffisamment douée au point de surpasser son maître.
Ce qui devait arriver arrive : ils tombent fous amoureux l’un de l’autre mais les frères les surprennent dans leurs ébats et c’est la crise. Ils veulent en venir aux mains. Tess alors, en défendant Matt, finit par avouer son amour. Celui-ci la demande en mariage. La colère des frères s’apaise. Ils déclarent que leur ami fera un excellent mari pour leur sœur chérie. Tout le monde est heureux de la situation. Happy end !

Mon propre résumé terminé, je ne résiste pas au charme de la quatrième de couverture :  Une éducation sentimentale… Tess ne pouvait pas entrer sereinement dans sa nouvelle vie new yorkaise sans en passer par cet indispensable prélude à la liberté, à l’émancipation et surtout à la féminité. Aussi était-elle déterminée : avant de s’envoler pour New York, de déployer enfin ses ailes loin de l’univers étriqué de sa petite ville natale, elle allait faire son apprentissage. Connaître le plaisir et s’initier à l’art d’en donner. Trouver un homme, suffisamment au fait des choses de l’amour, qui la révèle et l’instruise. Mais pas question de sentiments ! Les émotions compliquaient tout, dans ce domaine. De plus, c’était le moment idéal : l’été s’annonçait. Il ne serait peut-être pas romantique, mais torride et incandescent, certainement


Florilège de belles phrases : Première : « Projet pour l’été : perdre ma virginité. »
Dernière : « Au-dessus d’elle, la voûte étoilée scintillait, pure et lumineuse. Le paradis était ici… »
Et encore… « S’il avait été capable de la combler aussi pleinement qu’elle-même l’avait satisfait, elle devait flotter sur un océan de bonheur… »

Qu’il est loin le temps de mon adolescence où j’aimais ce genre de récits sirupeux ! Je peux en sourire maintenant mais je garde de ces lectures une certaine nostalgie ! Comme elles étaient faciles et reposantes en effet, ces histoires après les classiques poids lourds de l’année scolaire ! Elles sentaient bon les vacances et le farniente !

L’été en flammes de Vicky Lewis Thompson, (Editions Harlequin, collection Désirs, publié en langue anglaise sous le titre : Pure Temptation, Traduction française de Cécile Desthuilliers, 1er août 2006.)
N'ayant pas trouvé la photo de ce vieux livre j'en ai choisi deux autres dans la même collection.

samedi 25 juillet 2009

La perspective Nevsky de Nicolas Gogol

Ayant retrouvé le Librio des Récits de Pétersbourg de Gogol, contenant : Le journal d’un fou et le Portrait, j’ai eu envie de relire la troisième nouvelle, celle que je préfère : La perspective Nevsky.
Le titre évoque le centre du monde qu’était cette perspective, pour un russe de cette époque, (1835).
Saint-Pétersbourg était alors la capitale de l’empire gouverné par Nicolas 1er, ce tsar despotique. C’était l’équivalent des Champs-Elysées, la grande avenue où toutes les classes de la société se retrouvaient au moins une fois par jour, pour voir et se faire voir. C’était le lieu des promenades et des rendez-vous, le grand théâtre urbain et mondain, symbole de tous les désirs, de toutes les tentations, de toutes les dépravations aussi. Pour Gogol, ce mystique, ce sera l’enfer sur terre où le démon recrute ses proies.
Il n’y a rien de plus beau que la perspective Nevsky, tout au moins à Pétersbourg ; et dans la vie de la capitale, elle joue un rôle unique !Que manque-t-il à la splendeur de cette reine des rues de notre capitale ? Je suis certain que nul de ses habitants blêmes et titrés n’accepteraient d’échanger la perspective Nevsky contre tous les biens de la terre. 
Ainsi débute le récit et le narrateur d’enchaîner sur la description des passants très différents selon l’heure de la journée. Chaque catégorie sociale a son heure de sortie. Le matin apparaissent les vieilles femmes, les mendiants, les moujiks. A midi sortent les précepteurs et leurs pupilles, anglais, français, de toutes les nations. Bref, à cette heure de la journée, la perspective Nevsky est un lieu de promenade pédagogique.
L’après-midi, apparaissent les gens élégants, les pères, leurs épouses à leurs bras, pâles et nerveuses, vêtues de robes multicolores et brillantes, les fonctionnaires aux admirables moustaches auxquelles leur propriétaire consacre la meilleure partie de son existence. 
A trois heures, changement de décor: une multitude de fonctionnaires en habits verts  envahit la perspective, marchant rapidement, la tête bass: ils ne sont pas encore débarrassés de leurs préoccupations. Puis l’avenue se vide et seuls passent furtivement, de temps en temps, quelque couturière, quelque garçon de recette, un vulgaire artisan…
Seigneur ! Que de personnages originaux on rencontre perspective Nevsky. 
Mais tout change au crépuscule et la nuit venue ! Des ombres sortent des maisons et frôlent les murs ou se mettent à courir. Ce sont des jeunes gens célibataires ou les respectables vieillards de l’après-midi qui reviennent métamorphosés.
Après cette évocation des passants, le récit commence.
Parmi les promeneurs du soir, nous allons suivre deux amis très différents, le lieutenant Pirogov, toujours très sûr de lui et le timide peintre Piskariov. Ils croisent deux jolies jeunes femmes et chacun se met à suivre celle qu’il préfère jusqu’à sa demeure. Le peintre tombe amoureux de la brune qui se révèle une prostituée, le militaire réussit à embrasser la blonde, une allemande mariée à un artisan mais il est surpris et battu par ce dernier. Furieux, le jeune lieutenant jure de se venger. Le destin de ces deux jeunes gens est ainsi scellé, l’un connaîtra une fin tragique, l’autre oubliera ce qui n’aura été qu’une petite aventure.
Le narrateur termine en mettant en garde son lecteur sur la nocivité de cette grande avenue!
Tout n’est que mensonge ici, tout n’est que rêve, et la réalité est complètement différente des apparences qu’elle revêt.(…) Elle ment à chaque heure du jour et de la nuit, cette perspective Nevsky; mais surtout lorsque les lourdes ténèbres descendent sur ses pavés (…) tandis que le démon lui-même allume sa lampe et éclaire hommes et choses, qui revêtent alors un aspect illusoire et trompeur. 
Telles sont les dernières phrases du récit.
Ainsi, cette perspective Nevsky, si brillante le jour, se révèle un cloaque la nuit, le lieu de toutes les illusions, un endroit infernal et maléfique, le lieu des sortilèges, du mensonge, de la folie. Gogol n’a jamais cessé de peindre un monde désespéré, où les personnages ressemblent à des marionnettes, en proie à leurs désirs, leurs rêves, leurs obsessions, leurs folies. Le démon ici est le grand manipulateur. Le conseil de Gogol est de marcher dans cette rue en baissant les yeux et en s’enveloppant dans son grand manteau pour ne rien voir et ne pas courir le risque de se laisser tenter par ce démon qui guette les coeurs faibles et les âmes malades.
Kathel en parle aussi ici
La perspective Nevsky de Nicolas Gogol ( Librio, Traduit du russe par Boris de Schloezer)

jeudi 23 juillet 2009

Le désespoir des singes et autres bagatelles de Françoise Hardy


En vacances, j’aime jouer les midinettes. Comme je me jette sans retenue sur les petits pots de glace vanille caramel et autres, je fauche autour de moi tous les livres inconnus, légers, encensés, adorés ou abandonnés par ma famille retrouvée !

Je délaisse un moment, sans remords, et ma Lal et ma Pal, si amoureusement entretenues durant toute l’année, et papillonne avec délices de magazines people en romans de pacotille.

Je choisis tout ce qu’il y a de plus léger à la bibliothèque, les petits livres vite lus, les titres des gens célèbres, les meilleures ventes de l’année, les prix littéraires impossibles à trouver avant, bref je récupère tout ce qui traîne et qui peut se lire !

C’est alors le signe que je suis en vacances ! Bénies soient les vacances et la facilité !

Cependant, parmi tout ce fatras, il arrive que je tombe sur une pépite et c’est le cas pour l’autobiographie de Françoise Hardy, parue chez Robert Laffont, cet automne. C’est un livre bien écrit, émouvant et apparemment sincère, au ton très personnel et aux souvenirs différents de ceux auxquels je m’attendais. Je ressens de l’admiration pour celle qui se dévoile plus comme une femme meurtrie que comme une simple chanteuse adulée comme elle l’a été aussi.

Contrairement à l’image que j’avais d’elle, de femme épanouie à qui tout réussit, elle se montre fragile et surtout facilement angoissée et très réservée, perfectionniste également et grande amoureuse et surtout idéaliste et fidèle! Encore une fois, sa lucidité et sa sincérité m’impressionnent.

Elle raconte ses rapports familiaux si douloureux dans son enfance quand elle détestait sa grand-mère maternelle qui lui préférait sa sœur, sa culpabilité plus tard lors de la maladie de cette dernière, la violence exigeante de sa mère.

Rien de ce qu’elle écrit de sa vie ensuite ne ressemble à ce qu’on a pu en lire dans les médias : Jacques et Thomas Dutronc, le père et le fils, la maison en Corse achetée avec ses premiers cachets et où elle ne va pratiquement plus, sa passion pour l’astrologie, son cancer enfin et la vie solitaire qu’elle a choisie !

De cette histoire de sa vie, l’icône médiatique qu’elle demeure en sort très vivante, amicale et proche ! Sa vie fut riche en intérêts divers. Les dernières phrases de son livre se veulent apaisées !

« Le printemps que j’attends toute l’année passe de plus en plus vite et mon cœur se serre en pensant au peu de fois qu’il me reste à voir refleurir les lilas,quand bien même je veux croire que leur beauté, comme toute forme de beauté, nous donne un aperçu de l’au-delà (…)

Quand je ne suis pas trop fatiguée et que le temps le permet, je vais me promener au parc de Bagatelle.

J’y ai repéré quatre arbres dont je me suis arbitrairement instituée l’amie. Je vais régulièrement les saluer et les complimenter. S’il n’y a personne en vue, j’entoure de mes bras, l’un après l’autre, le tronc puissant de chacun des deux hêtres, pour qu’il me donne un peu de son énergie si c’est en son pouvoir, et je le remercie en partant ;

Mais mon arbre préféré se tient discrètement à l’écart et ne ressemble à aucun autre. ..Il s’appelle le « désespoir des singes. »

J’ai aimé la présentation : la photo de couverture, celles du milieu du livre et les photocopies des lettres manuscrites des dernières pages qui lui furent écrites par Montand, Prévert, Gainsbourg, Modiano qu’elle admire, Berger, Nougaro et bien d’autres.

J’ai apprécié aussi le style lui-même, soigné et concis, les paragraphes courts et réguliers rythmant les différentes étapes de sa vie. La lecture en est aisée et j’ai fini ce gros livre en très peu de temps. A la fin, j’ai regretté qu’il soit si court !

Le désespoir des singes et autres bagatelles de Françoise Hardy (Robert Laffont, octobre 2008, 390p.) ( récemment en livre de poche)

mercredi 22 juillet 2009

Des jeux par ci par là de blog en blog














En flânant sur les blogs ce matin, j’ai eu la bonne surprise de trouver deuxdivertissements de plus ! L’idéal en été !

Le premier jeu est une extension des Harlequinades 2009 lancées par Fashion et Chiffonnette tout récemment.

Il s’agit d’un test pour découvrir quel genre de livres et quelles collections nous conviennent.

Pour le découvrir, il m’a fallu suivre un vrai jeu de piste. Je suis d’abord passée chez Ankya qui m’a renvoyée chez Virginie qui me renvoie à son tour chez Tiphanya : ouf !

Enfin maintenant je possède cette information capitale : je suis une incurable « Romantique » . Les collections « Azur » et « Prélud » sont faites pour moi ! Mes mots clés sont : séduction, intensité, attirance, émotion, imagination… comment ai-je pu vivre sans savoir ça ? En tout cas, ça prend deux minutes, c’est drôle et je me retrouve avec mon âme de jeune ado !

Le deuxième jeu est celui des extraits de livres organisé par Pimprenelle

Plus moyen de s’ennuyer avec ça ! Jouer et lire, au loin comme chez soi, le rêve !

mardi 21 juillet 2009

Nicolas de Staël, Monographie Peintures et dessins par Jean-claude Marcadé


Ce très beau livre aux nombreuses reproductions de peintures est une monographie qui suit à la trace l’itinéraire de Nicolas de Staël, un artiste qui a poursuivi jusqu’à son suicide, en 1955, à 41 ans, la quête du visible aux frontières de l’invisible.
J’aime beaucoup ce peintre, c’est pourquoi j’ai choisi ce livre dès que je l’ai vu à la BM.
Jean-Claude Marcadé met l’accent sur l’influence de la peinture russe et de la mosaïque byzantine chez l’artiste dont la première exposition fut celles d’icônes, en 1936. Les rouges staëliens de ses dernières œuvres font écho aux mêmes rouges des icônes russes ou crétoises. Il insiste aussi sur la place de la musique chez le peintre qui privilégiait celles de Schönberg, de Webern ou de Boulez. Cette musique lui a permis de « faire sonner la couleur » comme il l’écrit dans une lettre à son ami René Char. La dernière période de sa vie est d’ailleurs consacrée à la peinture de nombreux tableaux musicaux qui sont des chefs d’œuvre absolus comme « Le piano » ou le fameux « Concert », sa dernière œuvre non terminée.
L’auteur est né en 1914, à St-Pétersbourg où son père était vice gouverneur. En 1919, la révolution contraignit sa famille à l’exil à Bruxelles mais devenu très tôt orphelin il fut confié à une famille belge qui lui fit suivre de très bonnes études humanistes chez les Jésuites tout en étudiant l’art des icônes et les Beaux-Arts. Dans les années 1930, il parcourut l’Europe, vécut à Paris et au Maroc, se maria avec Jeannine Guillou dont il fit de nombreux portraits. A 25 ans, il détruisit toutes ses toiles et peu après il rejoignit la légion étrangère pendant la guerre de 1939. Démobilisé en 1941, il s’installa à Nice où il s’inspira de Jean Arp et des Delaunay. Sa première femme mourut en 1946. Il rencontra alors Braque et Kandinsky, connut un grand succès aux Etats-Unis dès les années 1950, se remaria, eut trois enfants mais il subit une grave dépression en 1953 et, en 1955, il se jeta de la terrasse de son atelier sur les remparts d'Antibes .
Il écrivit un jour vouloir avant tout : "donner forme au désordre." et aussi : "Ma peinture, je sais ce qu'elle est sous ses apparences, sa violence, ses perpétuels jeux de force; c'est une chose fragile dans le sens du bon, du sublime, c'est fragile comme l'amour." (1953)
J’aime surtout ses dernières œuvres !




Une vue d'Agrigente (Sicile), 1953, (73x100 cm, Kunsthaus, Zurich)





L'Etagère, 1955, (Huile sur toile, 89x130 cm, Musée Picasso, Antibes)




Autre Vue d'Agrigente,Sicile, 1954, (Huile sur toile, 114x146 cm, Musée de Peinture, Grenoble)





Son avant-dernier chef d'oeuvre: Le Nu bleu ,1955, (collection particulière)




La Cathédrale, 1955, (Huile sur toile, 195x130 cm, Musée des Beaux-Arts, Lyon)




Dernière oeuvre inachevée du peintre : Le Concert; L'orchestre, 1955, (huile sur toile 350x600 cm, Musée Picasso, Antibes)

Dans sa dernière lettre à un ami il écrit:" Je n'ai pas la force de parachever mes tableaux. Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. De tout coeur."

Nicolas de Staël, Peintures et dessins par Jean-Claude Marcadé (2008, Paris, Editions Hazan)

dimanche 19 juillet 2009

Une odyssée américaine de Jim Harrison

La première phrase de ce livre me plaît.
« Autrefois, c’était Cliff et Vivian mais maintenant c’est fini. Nous sommes restés mariés 38 ans, un peu plus que 37 mais moins que 39, le nombre magique. »
Cliff, le narrateur, est un ancien professeur devenu paysan. Il a 62 ans, 10 de moins que l’auteur. Ayant tout perdu, sa femme, son ranch, son chien adoré qui vient de mourir, il décide de tout quitter et de partir, seul, dans sa vieille voiture, sur les routes américaines. Son but est de renommer, avec des noms indiens, les états traversés et leurs oiseaux typiques. Il a retrouvé le puzzle de son enfance et à chaque passage de frontière, il jettera la pièce correspondant à l’endroit traversé. Chaque chapitre prend le nom d’un nouvel état.
Bientôt une ancienne élève, Marybelle, le rejoint et on suit leurs déambulations de motels en stations-service, de prairies aux bœufs superbes en rivières idéales pour la truite. Les splendides paysages de l’ouest américain défilent sur un rythme de vieille voiture brinquebalante et de héros mal assortis. Seuls de minables jeux sexuels tour à tour frénétiques et poussifs les réunissent vraiment.
C’est d’ailleurs la caractéristique du roman qui m’a le plus frappée : la déception devant la réalité. Le rêve d’enfant était plus beau. Ainsi remarque-t-il que la frontière réelle du Wyoming est moins saisissante que sur la pièce du puzzle où figuraient l’oiseau symbolique et la plante typique de l’état. Son voyage est essentiellement subjectif.
A peine se laisse-t-il emporté par le lyrisme de la nature qu’il est aussitôt rattrapé, la phrase suivante, par la sexualité bestiale et terre à terre de sa compagne d’aventure, « cette cinglée qui me rendait aveugle aux beautés des Etats-Unis d’Amérique. »
« Je m’étais fait à l’idée qu’avec ma passagère je ne connaîtrais jamais l’Amérique réelle. »
Les disputes s’enchaînent et les comparaisons entre sa passagère et sa femme aussi, si bien qu’il finira par retrouver cette dernière devenue diabétique et qu'il adoptera un nouveau chien.
La vie ainsi continue mais pourquoi ?
Kerouac et Whitman auxquels certains passages font obligatoirement penser sont cependant très éloignés de ce récit dont trop de passages répétitifs ont fini par me lasser.
En parlent aussi : Virginie, Papillon, Martine Laval (Télérama) et peut-être d'autres encore.
Une odyssée américaine par Jim Harrison,
Flammarion, 2009, 313p., traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent
Titre original : The English Major